L’éditorialiste Massimo Nava analyse le soutien aux gilets jaunes du gouvernement italien, et singulièrement du vice Premier ministre.

L’EXPRESS. Le vice-Premier ministre italien, Luigi Di Maio, et le ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, ont apporté un soutien public au mouvement des Gilets jaunes et à sa poursuite. Quelle analyse faites-vous de cette prise de position?

Massimo Nava. Il s’agit, d’abord et avant tout, de continuer à affaiblir le président français. Ils ne manifestent pas forcément par là leur soutien à la plateforme politique des gilets jaunes. Ils instrumentalisent plutôt ces derniers contre l’exécutif français. Au-delà, sur une scène plus globale en pleine ébullition, ils tablent sur le fait que, si Macron et Merkel continuent à s’affaiblir, eux vont continuer à marquer des points sur la scène européenne. Ils espèrent toujours prendre la tête de la petite Internationale des populistes. Mais c’est à double tranchant…

Pour ce qui concerne la France?

Oui! Car la stabilisation des gilets jaunes, leur cristallisation sous la forme d’un mouvement politique structuré, c’est-à-dire ce à quoi appelle explicitement le leader de Cinque Stelle (M5S) qu’est Di Maio, aurait une contrepartie : diviser le camp populiste français et ajouter un troisième acteur, aux dépens du Rassemblement national (ex-FN) et de la France insoumise. Paradoxalement, ce fractionnement servirait les intérêts de Macron et de son bloc central, européen, plutôt centriste et libéral.

La perspective que les gilets jaunes suivent l’exemple italien, et se constituent en formation politique concurrente du Rassemblement national et de la France insoumise, vous parait-elle crédible?

Di Maio est en quête d’alliances dans toute l’Europe pour sa formation politique. Il a jeté des passerelles avec les Verts danois, par exemple. Il rêve d’un “allié sûr” chez vous, en France. Il a regardé, à un moment, avec intérêt, cette start-up politique qu’était En marche ! Historiquement, la genèse et le positionnement du mouvement Cinque Stelle n’en font pas, comme la Lega, un allié naturel du lepénisme, Il doit chercher des alliances dans un autre espace politique, beaucoup plus hétérogène. En outre, même dans sa rhétorique très populiste, il n’a jamais donné de justifications à la violence. Parmi les soutiens de Cinque Stelle, il y a de nombreux repentis de la gauche et des déçus de Matteo Renzi. Et, plus largement, des gens lassés par la “vieille politique”.

Vous dites que le mouvement Cinque Stelle n’a jamais appelé à la violence. Mais le slogan “Vaffanculo!” (“Allez-vous faire foutre!”), sur lequel surfait au début le fondateur Beppe Grillo, c’était quand même violent, non?

Oui, violent, mais verbalement. Dès le rassemblement monstre de Bologne, il y a dix ans, il s’agissait de vouer l’élite, la fameuse casta, aux gémonies. Ils rejetaient l’élite pour prendre sa place. Aujourd’hui, Cinque Stelle contrôle une bonne part des médias (grâce à son utilisation très intelligente d’internet) et essaye de truster les postes dans l’administration, dans une compétition avec la Lega. Les tensions entre les deux familles politiques qui composent la coalition s’aiguisent. Et, après les élections européennes, il y aura sans doute un nouveau gouvernement. Salvini rêve, pour sa part, en l’occurrence, d’évincer Cinque Stelle et de prendre la tête d’un futur gouvernement, flanqué d’un nouvel allié.

Y a-t-il une base sociologique commune entre les gilets jaunes et l’arc hétéroclite des soutiens de Cinque Stelle?

La convergence sociologique est, en effet, très frappante. Il y a des sociologies parallèles, celles de la petite bourgeoisie qui redoute le déclassement. En Italie, c’est le Sud qui a préempté le mouvement de Di Maio à cause de ses mesures “sociales”.

La bataille européenne de juin 2019 est-elle d’ores et déjà entamée?

A l’évidence! Emmanuel Macron, au moment de la victoire de la coalition M5S-Lega, avait parlé de “peste populiste”. Aujourd’hui, Di Maio et Salvini surjouent l’antagonisme avec lui à l’approche des élections européennes. Le message qu’ils adressent est tout de même d’abord à l’intention des Italiens. Ils savent bien que la politique qu’ils mènent au sein de la coalition ne leur donne pas forcément satisfaction. Ils veulent agiter sous leurs yeux l'”ennemi” macronien dans l’espoir de les convaincre qu’il existe aussi des situations encore pires que celle de l’Italie. Macron joue donc dans la scène politique italienne le rôle commode du bouc émissaire, contre lequel toutes les parties en présence sont appelées à se réconcilier.

Ecrivain et éditorialiste au Corriere della Sera, Massimo Nava est l’auteur de plusieurs essais et de romans, parmi lesquels Sarkozy, l’homme de fer.

Questa intervista è stata pubblicata l’11 gennaio 2019 su L’Express